La fille qui voyait les autres tomber enceintes

Lecteur, lectrice,

Si tu es fertile et que l’angoisse de ne jamais concevoir ne t’a jamais étreint, la fille dirait que 1) tu as bien de la chance, 2) il se peut que tu connaisses un de ces couples infertiles qui tirent la gueule à chaque fois que tu plantes la graine. Et ça t’énerve. Comme je te comprends, ami lecteur fécond. Les autres, c’est rien que des jaloux. Et des rabats-joies. La jalousie est un vilain défaut. C’est moche. Dans un monde parfait, tu n’aurais pas à te coltiner la morosité de tes amis (cousin, soeur…) moins fortunés que toi. C’est vrai. Et pour cause, dans un monde parfait, les couples infertiles n’existeraient pas. Ni Sarko, ni la faim dans le monde, ni les odeurs d’urine dans le métro, ni la guerre, ni… mais tu as compris. Sauf que, lecteur, il ne t’auras pas échappé que nous ne vivons pas dans un monde parfait (si tu as le moindre doute là-dessus, il te suffit de sortir de chez toi et de demander à un clochard ce qu’il en pense).

Soyons honnêtes. La fille a bien du mal avec les grossesses des autres. Cousines, amies, vieilles copines pas vue depuis des lustres, connaissances… à chaque fois, c’est la même. Quand on lui annonce un bébé à venir, ses zygomatiques se mettent en grève. Elle voudrait bien se réjouir, sauter au plafond en couinant de joie (hiiiiiiiiiiii!!!!) mais non. Pas possible. Elle ne voit que son nombril planté au milieu d’un ventre vide. Ses rondeurs? De la graisse. Ses seins douloureux? Les règles qui approchent. Ses nausées? L’abus d’alccol ou de chocolat (nous te rappelons d’ailleurs, lecteur, que les deux sont mauvais pour la santé).

Mais qu’est-ce qui peut bien rendre la fille incapable de partager ton bonheur (alors que bon, en tant qu’amie, elle devrait être contente pour toi, d’autant qu’il est clair que tes enfants à toi seront exceptionnels)? Analysons la situation. Imagine, lecteur, que la grossesse soit ton dessert préféré, celui pour lequel tu te damnerais, celui pour lequel tu vendrais père et mère, celui dont la seule évocation déclenche un réflexe pavlovien de salivation. Imagine maintenant que ce dessert te soit interdit pour cause de maladie. On ne parle pas de quelques jours, non, on parle d’années d’interdiction. Seule un opération pourra te guérir et donc te permettre d’en remanger. Et encore c’est pas sûr. Certes, c’est pas cool, mais pas insurmontable. Tant que tu ne l’as pas sous les yeux en permanence. Mais si tes amis, ta famille, tes collègues de bureau se mettent à baffrer goulûment  de ce met délicieux devant toi, tout le temps, il y a un moment où tu vas commencer à te sentir frustrer. Surtout si ils prennent cet air, heu… comment dire…, niais :

Pire encore, même les gens dans la rue mangent en permanence de ton dessert préféré. Tu ne peux plus mettre un pied dehors sans qu’on te mette sous le nez ce à quoi tu n’y as pas le droit. Incroyable, il y en a partout. Ne pense-tu pas qu’à un moment tu vas sentir monter une énorme colère en toi? Ne penses-tu pas que tu vas finir par en vouloir à tous ces gens de pouvoir manger ce qui leur plait alors que toi, tu vis dans la frustration? Tu le sauras bien qu’il ne sont pour rien dans ta maladie. Tu ne peux pas décemment demander au monde de suivre ton régime. Mais c’est plus fort que toi (comme Séga). Quand tu vois quelqu’un manger TON dessert, tes babines se retroussent et tu te mets à grogner de façon peu amène. Un peu comme ça:

Au mieux. Sinon c’est ça:

Ok, ce n’est pas beau, ce n’est pas digne et encore moins généreux. Mais c’est humain. Tu vois où je veux en venir? Pour les PMettes, le monde entier ressemble à une pâtisserie dont elles doivent se contenter de regarder la vitrine. Alors bien sûr leur supplice n’a rien de définitif. Du moins, elles peuvent honnêtement espérer que ce ne se sera pas le cas. Mais c’est quand même dur. Elles étaient parfois les premières à se lancer dans l’aventure bébé et elles se retrouvent bonnes dernières avec en prime la peur de ne jamais être mère.

Tu n’y es pour rien, lecteur fertile, mais quand tu annonces l’arrivée prochaine de Gustave, tu réactives tout ça. La peur, la colère, la frustration emmagasinée pendant des années. Ta réussite les met face à leurs échecs. Que tu le veuilles ou non, ça leur fait mal. Et puis, ça ne sert à rien de leur dire de relativiser. Ça, elles le font tout les jours, tout le temps. C’est d’ailleurs pour ça qu’elles ne te foutent pas leur poing dans la figure quand tu leur sors des conneries plus grosse que Sébastien Chabal (tu sais, le fameux « c’est dans la tête » ou le « tu y penses trop »). C’est aussi pour ça qu’elle t’écoute pendant des heure te plaindre de tes hémorroïdes et de tes remontées gastrites pour ensuite faire l’éloge de la maternité (tu verras quand tu y seras, un enfant ça change la vie! ).

La fille se débat comme elle peut avec ce qui lui tombe sur la tête. Elle voudrait bien ne pas ressentir cette amertume. Elle voudrait bien être en liesse chaque fois que tu oublis ta pilule. Elle fait même d’énormes efforts dans ce sens. Efforts que tu ne vois pas, concentrée que tu es sur ton nombril planté au milieu d’un ventre qui s’arrondit. Ce qui, encore une fois, est humain. La fille aimerait parfois que tu puisses revêtir ses habits de fille stérile par procuration. Juste une journée. Et alors tu comprendrais. Tu verrais que ce que lui coûte de vivre comme une lutte ce qui pour toi est… normal. Chaque jour est une succession de petites batailles. Batailles contre la vie et ses injustices, contre soi et ses émotions. De toutes petits combats qu’elle gagne jour après jour. De minuscules victoires qui passent inaperçues. Mais qui la font avancer sur le chemin de l’acceptation.

Un jour, tu viendras la voir, en disant : « je suis enceinte ». Et alors, la fille te prendras dans ses bras et te féliciteras. Et ce sera sincère. Tu ne le sauras pas (tu trouve ça normal qu’on partage ton bonheur) mais ce jour là, la fille aura gagner la guerre. Sa guerre. Toute seule.

Non, tu ne te douteras de rien. Et c’est bien ta chance, ami lecteur pour qui faire des enfants se résume à une partie de jambes en l’air.

37 réflexions sur “La fille qui voyait les autres tomber enceintes

  1. Jolie métaphore.
    Cependant je suis fertile et j’ai une maladie qui m’empêche de manger de mon dessert préféré dont tout le monde se baffre en ce moment (galette des rois, mon amour) et même si ce n’est pas opérable, je pense que la frustration est bien en-deçà de la vôtre, mesdames PMettes…
    Je suis de tout coeur avec vous dans votre longue bataille.

  2. haaaaaaaaaaaaaaaaaaaa!!!! j’ai trouvé où faut poster!!!
    je suis le loup avec les crocs au vent !!
    toutes en cloques ou les multipares que je derange je les ai zapé à vie!!!!!!!

  3. T’écris foutrement bien! Et tu dis bien tout ce qu on peut ressentir dans tout ces moments d’ annonce, les repas entre amis etc….
    Je crois fort en tes chances d’ indigestion cette année, c est vraiment tout le mal que je te souhaite! Bisous

    (désolé pour le jeu de mot pourri, mais j ai pas pu m en empêcher!)

  4. Encore une fois j’aime tous ces mots que tu mets sur nos peines et nos luttes. J’ai l’impression qu’on se comprend tellement (sauf que de mon côté je ne sais pas l’exprimer aussi bien). Alors je sais que quand ca sera toi qui nous annoncera l’arrivée prochaine de « ton Gustave » je ne serai même pas jalouse, juste très heureuse pour vous 2 !

  5. Je crois qu’on ferait mieux de t’élire définitivement porte-parole officielle. C’est tellement juste, dans la cible, tout ça. Oui chaque annonce est un crève-cœur, chaque jour est une bataille. Mais je dois avouer très sincèrement que, la plupart du temps, les bonnes nouvelles sur vos blogs ne sont pas de cette catégorie, j’ose dire que c’est avec sincérité que je partage ces bonheurs et que j’étais fébrile par exemple ce matin en allant voir les résultats de l’écho de PourMieuxAttendre….
    Lâche pas la plume Madeline!
    Bises

  6. Et oui, on croit toujours qu’on prend du galon dans l’art d’avoir assez de recul pour ne plus ressentir le coup de poignard à chaque annonce de grossesse mais force est de constater que ça reste dur de rester de marbre ou de se réjouir pour l’autre chanceuse.
    Bon quand je croise une bonne femme enceinte dans la rue, ça ne me fait rien mais c’est quand ça touche quelqu’un de proche que ça fait plus mal. C’est trop con !
    Bises

  7. C’est très joliment écrit!
    La vie des autres est le reflet de notre propre vie…
    Tout autant que lorsqu’on apprend un malheur chez qqun, on se « réjouit » aussi qqpart que ça ne soit pas pour notre gueule…
    Au fond c’est très humain!
    Par contre, il est arrivé un moment pour moi, où je me réjouissais très fort de certaines annonces parce que ça voulait dire que ces nanas là (de très bonnes amies) étaient épargnées de PMA… et la PMA j’étais en plein dedans et je soufflais qu’elles passent à côté…
    Bisous

  8. Ancienne Pmette (ayant eu la chance d’avoir des enfants), je ne me rappelle que trop bien cette période où je ne supportais plus les annonces de grossesses de mon entourage ! Et il y en avait… beaucoup… à croire que c’est fait exprès pour te faire souffrir un peu plus !

    Il m’est arrivé de partir du bureau en plein après-midi, après l’annonce de 2 nouvelles grossesses et des collègues hystériques qui criaient (de joie) dans les couloirs !

    Oui c’est humain, de ne pas pouvoir participer à la grande joie des annonces, de se dire que c’est totalement injuste que certaines se retrouvent enceintes de leur 4è ou 6è enfant et que toi t’arrives pas à en faire 1 et d’avoir envie de demander aux femmes enceintes de changer de trottoirs !

    Un jour, votre tour viendra, en attendant, ne culpabilisez pas d’avoir ce comportement pas très « sympa », on peut pas tout gérer quand on est dans ce difficile parcours !

  9. très bel article, j’espère que tu vas bien et que tu arrives à éviter toutes ces nanas fertiles qui en mettent plein la gueule.
    toi aussi, bientôt, t’auras le gros ventre et seras la future maman fière.
    gros bibis

  10. J’adoooooooooore ta dernière phrase… belle conclusion !
    C’est toujours difficile de mener cette guerre mais parfois, j’ai plus vraiment envie de me battre… juste accepter la jalousie, la tristesse et la peur. Les apprivoiser.
    Bisous

  11. Quel beau texte… Moi qui suis très gourmande, la métaphore que tu utilises me parle bcp!
    Oui les gens ne se doutent pas des moments où ils nous font mal, de combien on déteste les copines enceintes « par accident » (putain, comment c’est possible…)
    bisou et merci pr ce bel écrit!

  12. Bonjour Madeline, je découvre ton blog aujourd’hui. Je pourrais faire un copier/coller ce que tu écris tellement je m’y retrouve (et en plus ça ferait genre j’écris trop bien !)
    Ton style est génial et les mots que tu utilisent sont au poil.
    J’adore quand tu dis qu’on relativise tous les jours, et que c’est pour ça qu’on fout pas notre poing dans la gueule aux fertiles qui nous emmerdent… c’est exactement ça !!!!!!
    Enfin bref, comme toi, j’espère que DNLP va un peu taffer pour nous cette année…
    Bonne chance à toi !

  13. Super article, Madeline, j’adore.
    A faire lire à toutes celles qui tombent enceintes comme elles font la vaisselle ou vont aux petits coins.
    J’attends avec impatience le moment où belle-soeur ou couples d’amis vont m’envoyer leurs faire-parts et photos, dans les prochains mois, pour les foutre à la poubelle et y mettre le feu avec délectation. Ça va être jouissif !
    Je suis toujours dans ma phase haineuse. Je n’ai pas encore gagné ma guerre, comme tu l’as si bien écrit.
    Bises

  14. c’est exactement ça j’aimerais tellement qu’un jour les « fertiles » nous comprennent moi ma victoire c’est de commencer à comprendre qu’elles ne nous comprennent pas et que c’est aussi normal…et de ne plus pleurer car oui je suis sincérement heureuse pour elles mais moi je suis toujours aussi vide et inutile…

    • Oui, on est heureuses pour nos copines enceintes mais en même temps très tristes pour nous. Et je suis d’accord, c’est normal que les autres ne comprennent pas ce que l’ont vit. d’ailleurs, nous-même, il y a tout un tas de chose qu’on ne comprend pas tout simplement parce qu’on ne l’a pas vécu.

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